L’ouvrage publié en ce mois de janvier chez Robert Laffont par l’universitaire Catriona Seth tient du féminisme de bon aloi : il donne à lire les textes de douze "dames" nées entre 1675 et 1777.
Le livre évoque des femmes, chères bavardes…
Pas celles évoquées dans la maxime « derrière le grand homme cherchez la femme » cet être pygmalion caché derrière le masculin . Caché où ? Dans l’alcôve évidemment…comme épouse ou maîtresse. Sous- titré « Mémoires et journaux de femmes du XVIIIème » le corpus ici réuni présente le grand intérêt d’avoir donné la parole à quelques unes de classes sociales et nationalités différentes.
Celles qui ont aimé lire, écrire, tenir un salon littéraire ou simplement fréquenter un « cabinet de lecture » cette première bibliothèque.
Qui en fait, ont utilisé leur « temps de cerveau disponible » à produire-chose insensée pour les écervelées du deuxième sexe !- du sens.
Aristocrates telles Isabelle de Bourbon-Parme, femmes du peuple comme Victoire Monnard petite employée sous la révolution ou actrices telle Mistriss Robinson qualifiée de « plus belle femme de son époque »
Toutes écrivains de talent.
LA SUISSE EN FORCE DANS CE LIVRE
L’Helvétie est citée à multiples reprises évidemment par l' entrée- clef du Siècle des Lumières : Rousseau que ces dames se plaisent à lire ou critiquer.
Mais aussi les Necker ces protestants lémaniques qui font carrière à Paris dans la finance ou ...oeuvre littéraire côté femme: la mère et la fille -unique!
Louise-Suzanne Curchod, fille d’un pasteur vaudois et de son épouse huguenote «très instruite , élégante et jolie la jeune femme fait les délices de la bonne société lausannoise » (p255) Devenue Necker, elle va tenir l’un des salons parisiens les plus courus.
Sa fille Anne-Louise Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, publie, elle, « Mon journal » non sans raillerie de la part de son banquier de Papa lequel la qualifie de « Monsieur de Saint-Ecritoire » ! Drôle de masculin…
Un auteur présenté par Catriona Seth intéresse particulièrement: la versaillaise Aimée Guichelin, fille de gens modeste exceptionnellement précoce (poète)
Un aristocrate suisse, M Steck (p 994) éperdu d'amour fera tout pour épouser en 1797 celle qui, socialement si lointaine devient la femme de sa vie. Les écrits de Aimée Guichelin-Steck interpellent par la modernité des thématiques abordées. Comme rédiger combien en tant que femme il est difficile d' écrire et d'assumer toutes les tâches ! A l'époque, déjà...
"Berne 24 février 1799. Depuis que j’ai écrit les pages précédentes, quelques évènements de ma vie ont eu lieu Une petite révolution politique nous a rendus à nos foyers et au bonheur, je suis devenue mère » Le gouvernement de la République helvétique pour lequel son mari est Secrétaire déménage en effet de Aarbourg à Berne, chez eux. Devenue veuve d’un mari aimé, elle saura taire cette douleur. Elle doit travailler. Mais, grande âme, se refusera à rédiger de la poésie sur commande « ce qui équivaudrait pour elle à se promener dans la rue en sous-vêtements » Parole...concrète. Opinion ferme.
Elle n’a pas consacré tout le temps nécessaire à sa compétence d’écrivain. Maîtrisant plusieurs langues dont excellemment l’allemand elle pratiqua la traduction sans que son nom n'apparaisse toujours. La versaillaise devenue suissesse fera connaître Jean de Müller, Bonstetten, Boutewek...Elle deviendra de ce fait un « passeur de culture"
Aimée Steck-Guichelin ne se donne en apparence d’autre destination qu’elle-même. C'est la définition des écrits intimes ! Or les conseils de cette Grande dame, ses observations sur le genre humain n’ont pas pris... une ride.
Sylvie Neidinger
"La fabrique de l'intime" par Catriona Seth Robert Laffont Bouquins ISBN 9782221109717
Catriona Seth , spécialiste des idées au siècle des lumières offre un ouvrage documenté sur 1200 pages, avec index, bibliographie.
Elle est professeur de littérature française à l’Université de Lorraine (après Rouen)et professeur associé au département d’histoire de l’Université Laval Québec .
Complément de lecture suggéré:
-« Une singulière famille Jacques Necker, Suzanne Necker et Germaine de Stael », Paris, Fayard,1999 par Jean-Denis Bredin.
-Article "Les Réseaux franco-helvétiques de Mme Steck-Guichelin »Catriona Seth
-« Les Ecrivains suisses alémaniques et la culture francophone au XVIIIème siècle » actes du Colloque de Berne 24-26 novembre 2004, Genève, Slatkine 2008 p.371-380