A l'occasion du récent G20 organisé en Arabie Saoudite par le prince héritier M. Ben Salman, de nombreux observateurs dont les ONG n'ont pas manqué de rappeler la terrible affaire du meurtre perpétré au consulat turc contre l'éditorialiste du Washington Post, Jamal Khashoggi venu pour un opération administrative privée piégeuse.
Un an après, personne n'a oublié le crime sous commande par une équipe liée au prince au pouvoir. Dont le royaume a nié, puis reconnu avec difficulté une partie seulement des faits. Le dossier est toujours traité par la justice locale.
Un livre turc est sorti récemment en langue française (le 12/10/20) intitulé "Sauvagerie diplomatique" aux Editions Le Jardin des Livres , traduction d'un ouvrage rédigé par trois journalistes bien informés du média Daily Sabah: F. Unlu, A Simsek,N Karaman.
Ayant eu accès aux données de services secrets - lesquels confirment l'existence de micros muraux, la preuve étant dès lors totale! - les auteurs donnent un rendu hyper précis des faits: depuis l'entrée de l'individu venu chercher un document à son assassinat et la boucherie de découpe du corps qui en suivit.
L'ouvrage est de type policier. Et pour cause...Puisque basé sur ce qui s'est réellement passé, par l' accès aux sources des services secrets turcs du MIT.
Le timing implacable bien décrit fait exploser en vol les dénégations saoudiennes de cette délégation de tueurs qui sont allés jusqu'à déguiser l'un des leurs avec les habits du récent assassiné pour une fausse promenade en ville. Mais avec les mauvaises chaussures!
L'enquête basée sur les enregistrements sonores décrit les sept dernières minutes de vie de l'individu, révèle ce que se sont réellement dits les quinze assassins de l'équipe. Elle donne leur identité, leur spécialité. Elle va jusqu'à transcrire les réactions de dénégation téléphoniques au plus haut niveau de la partie saoudienne.
Le corps fut démembré sur place, le visage défiguré, les restes déposés et retrouvés dans les jardins du consul saoudien à Istanbul.
A savoir la victime était en fait plus qu'un chroniqueur mais un opposant politique et religieux. Selon l'observatoire OJIM : son "second exil [aux USA après Londres] est consécutif à la prise de pouvoir du pays par le nouveau prince héritier Mohammed Ben Salman (alias MBS) en 2016, avec lequel les relations de Khashoggi étaient notoirement exécrables, le journaliste ayant soutenu un autre prince pour la succession du roi. Avant sa mort il aurait voulu mettre en place une équipe de cyber information (les Abeilles) pour contrebalancer les trolls informatiques de MBS (les Mouches), s’attirant l’animosité de MBS et de son entourage."
L'Observatoire du journalisme (OJIM) a signalé- rare à le faire- la sortie de cet ouvrage fort intéressant pour la bonne connaissance de l'affaire Khashoggi.
L'article OJIM re-situe les enjeux plus larges en raison du profil particulier de Khashoggi lequel dépasse la simple profession de journaliste: "Le tout sur fond de rivalité entre la Turquie et l’Arabie saoudite dans le monde musulman. Les Turcs soutiennent les Frères Musulmans qui sont soit pendus soit emprisonnés en Arabie Saoudite. Le livre, très documenté, assez touffu, se lit comme un roman policier. Les odes et dithyrambes au régime turc, au président Erdogan et à sa politique, nuisent au récit et sont parfois empreints de ridicule sans obérer l’intérêt d’ensemble de l’ouvrage."
Tout est dit par ce commentaire sur Sauvagerie Diplomatique dont on apprécie effectivement moins les dithyrambes laudatives peu journalistiques et hors sujet pro-régime.
SECONDE AFFAIRE "KHASHOGGI" AU CANADA
Par extraordinaire, le prince MBS a participé activement peu après l'affaire Khashoggi, à la tentative d'élimination d'un autre opposant, Al Jabri, au Canada, via Toronto.
Une tentative toute aussi visible, amateure, et "pieds-nicklés" que celle d'Istanbul (des sacs emplis d'instruments médico-légaux au passage de frontière avec un groupe d'individus aux visas touristiques et se voulant discrets ! ) Elle lui est postérieure.
Le prince saoudien est depuis août dernier assigné par l'opposant visé, al Jabri, auprès de la justice américaine à Washington.
Jamal Khashoggi lui ne peut plus s'exprimer.
Mais personne n'oublie ce fait-divers sauvage, atypique.
Car un consulat, une ambassade sont les lieux régaliens respectables et respectés de représentation de pays existants. Et non des lieux de crimes et tortures. Choc à l'ONU. Choc général que cette affaire criminelle.
Sylvie Neidinger
Sauvagerie diplomatique. Le Jardin des Livres
ISBN-978-2-36999-001-7