Il est un tout petit peuple au coeur de l'Europe qui se dit celte: les Yéniches.
Il faut écouter sa drôle de musique. Nous avons vu dans le précédent billet " Halloween et les squelettes en goguette" combien la culture celte a pris médiatiquement l'image erronée d'être ouest-européo-insulaire (Irlande, Bretagne, Royaume Uni)
Alors qu'en réalité la celtitude était d'une diffusion globale dans toute l'Europe jusqu'au Portugal.
Et que son épicentre se situe dans nos contrées : Suisse, Bavière,Lorraine, Alsace, Bade Wurtenberg, Hongrie, Autriche...Où la culture celte a fleuri à l'âge du fer. Nommée par les archéologues: culture des champs d'urnes, culture du Halstatt, culture de la Tène à Neuchâtel
Rien ne préjuge toutefois que les Celtes ne viennent... d'ailleurs eux aussi. La reconstitution de l'Histoire des populations, de leurs déplacements, de leurs influences réciproques est infiniment complexe. Prudence !
Les Yéniches, actuel peuple semi-nomade du cœur de l’Europe (plus de 200 000 en Europe, 50 000 en Suisse environ) ont pu être qualifiés de « tziganes blancs » au physique totalement local avec les yeux verts ou bleu éventuellement. Ils parlent un idiome germanique.
Eux-même se refusent parfois à se voir décrits comme Gitans ou Roms ...Non pas qu'il faille sur-stigmatiser ces derniers au point de refuser la comparaison avec eux.
Mais dans l'autre sens, les Yéniches ont parfaitement le droit de dire que s'ils partagent avec gitans etc... le mode de vie nomade, ils ont en revanche beaucoup, beaucoup en commun avec les populations sédentaires des pays dans lesquels ils vivent depuis...toujours!
La comparaison systématique avec les Roms peut même excéder le 5ème peuple de Suisse.
Comme cet article universitaire (écrit au titre des études tziganes) qui désigne Roms et Yéniches comme "endo-étrangers européens" !!! Une comparaison d'origine exogène que les Yéniches réfutent. Ils en ont le droit !
Peut-on entendre ce que les Yéniches disent d'eux-mêmes, avant tout discours extérieur même universitaire (supposé neutre...) qui leur impose une vision sur ce qu'ils sont supposés être ? Certainement pas des" étrangers"en tous cas Juste un mode de vie différent: ce n'est pas pareil !
Comme une erreur de l'histoire qu'ils veulent rectifier. Mais dont ils n'ont pas les moyens ni les arguments de la rectification. Il faut alors les écouter!
Ils portent potentiellement en eux une incroyable tradition orale: ils se revendiquent comme...descendants directs des Celtes, peuple antique et disparu ! Revendication inouïe.
Les Européens possèdent tous une part celte ou gauloise au fond de leurs gènes. Pourquoi ce petit peuple l'affirme-t-il avec une telle insistance? Comme si lui seul en avait gardé la mémoire?
Analyse.
Cette hypothèse ne peut en aucun cas être validée scientifiquement par...manque de preuve.
Toutefois cet article mène une enquête qui met en exergue des indications allant dans le sens de cette affirmation.
1- Yéniches à structure familiale et sociale clanique, voire matriarcale. Celtes claniques.
2- Yéniches qui ont conservé les fonctions liées au métal ferrailleurs, remouleurs-étameurs. Ils se vivent comme les maîtres du métal. Ces nomades ne sont pas colporteurs de marchandises. Ils commercialisent leur savoir-faire. En l'occurrence un savoir fer (+ vannerie) Les Celtes, ces grand maîtres du métal...
3- Parler de « physique » n’est pas ma tasse de thé en réalité... Mais les Yéniches sont totalement du cœur de l’Europe de ce point de vue. Largement différents des autres nomades. Ce qui est logique. Des études précises sur les gens du voyage montrent combien Gitans d’Espagne, Sinti d'Italie, Tziganes seraient eux, issus de l’Inde. Des Intouchables (classes défavorisées) ayant massivement quitté le pays qui les rejetait au moyen-âge, voire avant. Le culte des Vierges noires des Saintes-Maries-de-la-Mer que l’on va plonger dans l’eau de mer fait effectivement penser à un culte du bord du Gange…Les historiens peuvent affirmer ces sources avec certitude car les langues parlées (sinti etc) appartiennent à l’aire géographique indienne. Or les Yéniches n’entrent absolument pas dans ce schéma d’origine.
4- La langue Yéniche (lire) malgré sa quantité de vocabulaire exogène appartient aux dialectes de l’oberdeutsch ou haut allemand (lire) Le « Jenische Sprache » a pu s’apparenter par la marginalisation sociale du groupe (yéniches nomades) au rotwelsch cet argot connoté comme « langue de marginaux » Avant tout- et en dehors de sa désignation négative- il appartient à un groupe linguistique dit Welsch, celui du germanique à connotation romane.La langue Welsch correspond à cet idiome. Note intéressante:Welsch est aussi le terme germanique pour désigner les celtes, ces gaulois. (Les Suisses alémaniques utilisent ce terme pour désigner les Suisses Romands ). Le Yéniche serait donc une langue spécifique germanique du groupe Haut allemand à connexion romane. Il reste complexe car il possède aussi du vocabulaire exogène comme du Yiddisch ( autre langue, autre population spécifique de la zone également nomade à l’époque et fervente de musique) Que c’est compliqué !
5- Aucune aide n'est à attendre à court terme de l’ethnogénétique qui par l’ analyse du sang semble intéressante pour des recherches d’origine. Méthode toutefois dangereuse idéologiquement par des conclusions éventuellement hâtives. Tout travail en ce sens doit être bordé de précautions méthodologiques absolues. D’autant-gag- qu’aux Usa une personne ayant envoyé son prélèvement à trois laboratoires de tests génétiques a obtenu trois analyses différentes ! Rappel: les théories raciales ont adoré usiter d'arguments supposés biologiques. Et les Tziganes subirent massivement la déportation... Le recours à l'ADN peut aider dans la mesure uniquement où le test complète d'autres données comme la langue. Les tests génétiques comparatifs de populations contemporaines gitanes/indiennes peuvent éventuellement valider l’hypothèse par les correspondances ADN. Mais cette analyse est strictement impossible à réaliser pour valider l’hypothèse Yéniche/Celte. Tout d’abord parce que les Celtes sont un peuple antique -par définition disparu- et que même en extrayant de l’ADN d’une tombe princière celte, scientifiquement rien ne dit que l’individu ne l’était vraiment. Ensuite, Celte correspond à un véritable fond de la population européenne. De fait, le marqueur celte -à condition de l'identifier- se retrouvera finalement chez tous les européens dont les Yéniches. Tout comme au proche-orient le substrat canano-phénicien est majoritaire. Peu d’espoir donc du côté ADN en l‘état actuel des connaissances pour valider le couple hypothétique historique Celte/Yéniche. Toutefois la comparaison génétique reste possible entre ces populations contemporaines vivant dans la même aire géographique : entre les Yéniches (nomades) et les non -nomades de leur zone de vie commune pour mesurer les points communs. La question suivante étant : "quelle est la part d'héritage génétique celte pour toutes les populations - pas simplement les Yéniches- c'est à dire pour tous les Suisses, tous les Alsaciens, Lorrains, Hongrois etc? Or, aucune réponse n'est possible sans identification du-dit marqueur celte ou gaulois. A suivre...
6- Ce billet me donne l’occasion toutefois d’une observation hyper intéressante: si on superpose la carte du haut allemand (donc du parler Yéniche ) dont le Welsch (= ce mélange d'allemand et de langue romane) à la carte de la zone de vie des Yéniches et celle de l’épicentre archéologique de la culture celte dite de la Tène, on est à l’identique, les trois sont équivalentes !!! Aucune conclusion directe d’historien ne peut en être tirée mais la douce musique de ce peuple yéniche qui se vit comme celte commence à avoir non pas une validation mais une indication très sérieuse par cette observation.
en jaune : épicentre culture celte de la Tène (capture d'écran)
+Carte de la zone de vie des Yéniches: identique ( Alsace, Bade-Württemberg, Autriche, Suisse, Lorraine...
7- Le problème de la distance temporelle n'en est pas un en réalité. Le fait que plus de deux millénaires séparent la civilisation celte, gauloise de la Tène et la revendication contemporaine Yéniche n’est absolument pas un obstacle intellectuel, contrairement à ce que on pourrait penser. Le Proche-orient contemporain perpétue des cérémonies datant de cinq millénaires au minimum (de source sûre: du vécu !)
8- Les Yéniches portent des tatouages spécifiques. Un travail ethnographique devrait être mené sur le thème. Sur leurs mythes aussi.
9- Le chariot, la roue. Les Yéniches ont tenu bon jusqu’au XX ème siècle à vivre dans leurs roulottes, chariots. Une revendication identitaire, symbolique forte. Un âge d’or perdu pour les sédentarisés. Or, la culture celte, gauloise est forte de sa métallurgie sophistiquée, du travail de la roue, du tonneau . Le chariot est un élément majeur de la pratique cultuelle funéraire puisque les princes sont enterrés avec leur chariot. Ceci dit, rien ne prouve non plus que les celtes étaient tous des non sédentaires évidemment!!! (comme c'est complexe!) Voir les photos de chariot sur ce blog d'une famille yéniche. De nombreux chariots celtes ont été découverts par les archéologues.
10- Les Yéniches majoritairement catholiques (religion du culte marial ) semblent ne pas avoir été touchés par la Réforme. Nombreux sites du culte marial comme à Saxe-Sion en Lorraine sont en réalité installés dans la continuité d'anciens lieux de culte celtes liés à une déesse femme +symbolique de l'oiseau. On n'entrera pas ici dans le thème complexe des sources religieuses. On juxtapose juste deux remarques : celtes antiques=un culte féminin majeur. Yéniches toujours catholiques donc liés au culte marial. Sous réserve car ils sont tentés aujourd'hui par l'évangélisme. Et le lien de filiation religieuse entre deux périodes historiques si fortement éloignées est hyper fragile. On note toutefois cette remarque...
LA SUISSE ET LES YENICHES, CES SUISSES.... AUTANT QUE LES AUTRES !
Il reste difficile de confirmer l'origine celte des Yéniches. Il est certain en revanche que les 50000 yéniches suisses sont bien ...suisses ! Bien de la Confédération Helvétique où 90% des gens du voyage sont Yéniches dont 10% de semi-nomades. Ils voyagent une partie de l'année (car les enfants sont scolarisés) toujours en structures sociales claniques, ces «familles» jusqu’à 20 personnes dans 2 à 8 caravanes maximum.
Ils peuvent encore exercer leurs métiers traditionnels de forains, rémouleurs, vanniers et colporteurs etc.
Leur mode de vie des gens dits "du voyage" reste mal accepté par les sédentaires. Le non accueil semble s'aggraver. Plus en zone romande qu'en suisse alémanique semble-t-il? (voir en bas le témoignage de l' article swissinfo.ch)
Les terrains ancestraux qui leur étaient dédiés dans les villages disparaissent.
De plus les néo-nomades roms, récemment arrivés qui ne respectent pas les règles (détritus, destructions) tendent à opacifier les relations historiques entre les citoyens suisses sédentaires et les citoyens suisses nomades: les Yéniches.
En résumé, ce peuple semble depuis "la nuit des temps" se promener dans l'aire germanique spécifique où l'on parle le haut allemand, aire culturelle celte de la Tène. Ils sont des milliers à vivre en Alsace, au sud de l'Allemagne, en Suisse, Autriche principalement à porter des noms germaniques.
Même de bonne foi, les traiter d'étranger , voire d'endo-étrangers participe de la stigmatisation!
Ils soulignent leurs difficultés spécifiques de vie. Lire l'article de Swissinfo.ch " Nous les Yeniches sommes des citoyens à part entière"ou blog article Heimatlos
Ils vécurent une histoire douloureuse de 1926 à 1973. La fondation Pro Juventus avait enlevé les enfants à leurs parents pour les acculturer via l'opération "Enfants de la grande route". Sur ce dossier, le Président de la Confédération Alphons Egli a présenté les excuses officielles en 1987.
La Suisse est le seul pays à les avoir reconnus officiellement comme minorité nationale. Une fondation "Assurer l' avenir pour les gens du voyage suisses"(1997) s'occupe de ces suisses ..mobiles. La langue Yéniche est acceptée comme langue officielle de la Confédération.
Le grand drame de leur histoire contemporaine reste évidemment les persécutions nazies.
Depuis 1998, les Yéniches, ces gens du voyage du coeur de l'Europe sont protégés par la Convention du Conseil de l’Europe sur les minorités nationales.
La Suisse officielle a largement ouvert le travail de reconnaissance de ce peuple dont on devrait ouvrir désormais le travail de meilleure ...connaissance. Les Yéniches seuls, ne peuvent y parvenir.
Sylvie Neidinger
*Lire de Chritian Bader :"Les Yéniches les derniers nomades d'Europe"
*article Chasse aux Tziganes en Suisse
*Il se lit qu'un citoyen suisse célèbre est d'ascendance Yéniche. Il ne le revendique pas, ne le nie pas. Le chanteur Stephane Eicher dans les interviews, montre son attachement à sa musique sans note, à Berne et sa langue germanique.
*Manouche : Tout linguiste trouvera une similitude phonétique du terme Ye/n/ch et Ma/n/ch D'où vient le terme manouche? S'applique t-il au groupe de gens du voyage qui vient de l'Inde ou celui qui nait au coeur de l'Europe? Etablir l'histoire des peuples à mémoire orale est bien difficile.
*Groupe Jazz manouche Winterstein St Etienne
Même longtemps après, que ceux qui veulent donner un témoignage, une info, une idée (comme le commentaire de Romain infra) peuvent le faire soit par les commentaires soit par courriel à la blogueuse.
Dossier ouvert !
Nota: Je n'appartiens aucunement au monde Yéniche. Et ne peux renseigner plus avant ceux qui veulent des infos plus précises... L'intérêt au départ est venu dans la ligne d'un article sur Haloween et des Celtes. Puis la découverte de ce peuple "qui se dit celte" l'un des "peuples suisses"en plus. Nota: cet article sur le thème Yéniches devient l'un des plus lus du blog. Il y a un absolu besoin de comprendre l'histoire de ce peuple!
Ancienne URL TDG http://duboutduborddulac.blog.tdg.ch/archive/2012/11/23/yenich-ce-petit-peuple-qui-se-dit-celte.html