Etienne Dumont est connu comme le loup blanc à Genève. Mais pas tellement au delà, finalement.
Alors qu'il est l'un des hommes les plus transformés de la planète. Peut-être unique à ce niveau de tatouages. Il est journaliste.
Cette chronique concerne l'homme public. Le privé, je ne le connais pas. La vie privée n'aurait d'ailleurs pas lieu d'être sur un blog.
Nous avions croisé nos chemins une seule fois à Penthes (GV) en 2012 à propos de l'expo Corto Maltese. Il portait son petit bonnet. Peu loquace...(sa photo de blog ici : phase du noir) Lui, rédigeant un article de presse: Marco d' Anna sur les traces de Corto Maltese
Moi un article de blog: Marco d'Anna en escale à Penthes et Corto Maltese refuse de quitter Genève
Etienne Dumont est brillant rédacteur. Mais à la dent (trop) dure parfois. Sur le terrain genevois et vaudois, certains éditeurs ou galeries d'art m'ont dit être encore marqués par ses écrits à leur encontre, en positif comme en négatif. Je n'ai les ai pas tous lus et ne peux me prononcer. Sa plume hyper acérée en excède plus d'un.(article TDG 2017)
A savoir, la Presse n'est pas Communication! Le chroniqueur est bien dans son rôle en tant que...critique. Nuance toutefois. Qu'un journaliste n'apprécie pas une oeuvre ne signifie pas du tout que cette dernière soit "nulle"! Derrière une expo, un éditeur, il y a de l'humain. Des personnes qui se sont données autour d'un projet. Et qui n'apprécient pas que deux coups de cuillère à pot de plume ne ternissent leur travail.
Car, problème: l'écrit reste ! Il est ultra puissant. A l'heure des moteurs de recherche, les articles ne meurent pas. D'où ces sentiments mitigés toujours actifs longtemps après les parutions.
CRITIQUE CULTURELLE: LA DIFFERENCE PRESSE /BLOG
Ici s'expose toute la problématique de la critique du culturel. Car le journaliste est justement rémunéré pour s'exprimer en positif et aussi en... négatif. C'est son travail. Quelque part, son analyse engage celle de sa Rédaction dans le lien de subordination qui le lie à son employeur. Laquelle en retour le protège.
Le blog lui ne fonctionne pas ainsi. Pas de mécanisme économique. Le blogueur opère individuellement ses choix. Sur ce #BlogSylvieNeidinger par exemple, j 'ai choisi cette option pour les données culturelles: "je n'aime pas donc je n'en parle pas" L'activité blog est non rémunératrice, chronophage. Pas de temps à perdre à démolir...car déjà pas le temps de coucher sur écran la dizaine d'articles déjà pré-rédigés en tête. Ce qui n'empêche pas au besoin évidemment une critique. Mais pas de celle qui laisse l'autre cloué au tapis médiatique.
Presse et blogosphère sont deux planètes si proches et si différentes: pas toujours comparables!
I- Etienne Dumont, chroniqueur culturel:
On ne le lit plus sur la Tribune. Idem, son blog TDG est inactif. Sa dernière chronique fut rédigée le 7 mai dernier (cf 2013). "Tout a une fin" écrit-il sans en préciser les raisons.
Il exerce désormais à Bilan.ch
Ici sa photo professionnelle, sur le site de presse Bilan. Drôle d'indien, étonnant journaliste. Peu habituel.
Il publie le 22 mai 2023 un bilan décennal de ses 6000 chroniques et de son métier de journaliste critique d'art. où il présente d'ailleurs son métier de façon décalée avec autodérision quelque peu péjorative "Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la «Tribune de Genève», en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler"(Bilan)
II Etienne Dumont oeuvre d'art
L' homme est probablement le plus tatoué de la terre (exploit) et oeuvre d'art, lui-même! Il s'est exprimé publiquement en 2009 sur son processus de transformation démarré par un aigle et une croix, soit, du basique, pour arriver au résultat sophistiqué que l'on connait aujourd'hui.
Avec un graphisme ethnique très sphère culturelle océan pacifique pour le visage (Maori?) et Japonisant pour le thorax. Et plus encore.
Son être est devenu champ expérimental. Le blanc par exemple ne tient pas sur la peau, il vire au jaunasse "sale" selon lui. Il quitte donc le blanc/noir pour le ...rouge.
Le critique professionnel témoigne sur le site d'une certaine Annette Giard en février 2009 (textes en bleu):
"j’avais vu au Musée d’Orsay, lors de l’exposition sur les moulages, le buste en plâtre d’un Néo-Zélandais, au visage couvert d’incisions soulignées d’encre. Longtemps, j’ai pensé à cette chose, sur ma table de nuit imaginaire, puis j’ai téléphoné à Dominique Lang [son tatoueur] : “On le fait.” Il n’était pas chaud. On l’a fait, en couleur. Ça m'embêtait d’avoir de la couleur sur le corps et la tête en noir et blanc, c’est comme si j’étais deux personnes. Alors on a tout refait en couleur. Ça a pris 10 mois, en tâtonnant. Il se passait toutes sortes de choses bizarres pendant les séances. Quand il plantait son aiguille dans les ailes de mon nez, par exemple, ça déclenchait des éternuements. Il fallait s’interrompre toutes les 10 secondes.
Il a offert son corps jusqu'à la nudité au regard public en 2009 par une expo de photos. (article Libé) Il fêtait ses 60 ans.
Mais sans donner d'explication verbale véritable. Le cliché plus haut le présente en mode avant/après. Depuis son visage s'est encore complexifié.
Après tout, face à une oeuvre, le spectateur de la photo ou de la toile doit lui-même se poser la question du pourquoi. L'Art sert bien à cela...L'artiste n'a pas à verbaliser ses choix !
Silence d' Etienne Dumont sur les motivations du recouvrement presque complet de ses cm de peau.(dont la superficie se calcule par une formule dite de Dubois qui daterait de 1916 en fonction du poids et de la taille.)
La peau cet épithélium de revêtement, résistant à l'abrasion et la dessication par sa couche cornée, cette enveloppe humaine, peut atteindre 2 mètres suivant les individus.
Le genevois reste fondamentalement silencieux sur les motifs de cet acte de transformisme majeur. Est-ce une barrière de protection? Un outil de provocation? A-t-il des soucis médicaux autres que la nécrose qu'il avait signalée à propos de sa corne de par le recouvrement complet? Son témoignage sur les réactions qu'il engendre, en Suisse, à Paris ou dans les pays qu'il visite? Quid des passages en douanes? Les enfants le prennent-ils pour un personnage de BD vivant lorsqu'ils le rencontrent ? Un extra-terrestre?
Quel est le lien entre l'encre de la plume du journaliste, l'encre du tatouage et l'ancre symbolique si présente chez les tatoués? Que pense-t-il de la notion de trace culturelle ? Narcissisme ? Auto mutilation symbolique? Ou au contraire hyper-valorisation de l'ego ?
450 HEURES DE TATOUAGE SUR 15 ANS
Expérimentation corporelle qui le fait éternuer, tousser suivant les emplacements lors des longues séances...
Définition de tatouage sur wiki :Le mot vient du tahitien tatau, qui signifie marquer, dessiner ou frapper et dérive de l'expression « Ta-atouas ». La racine du mot, ta signifie « dessin » et atua signifie « esprit, dieu ». Le docteur Berchon, traducteur du deuxième voyage de Cook vers Tahiti en 1772, employa pour la première fois le mot tattoo ; le mot sera francisé en « tatouage» à la fin des années 1700. Il est d'abord introduit dans le Dictionnaire de l'Académie française en 1798, puis dans la première édition du dictionnaire de Littré en 1863
Au Japon, le tatouage traditionnel pratiqué à la main est appelé irezumi (入れ墨 ou 入墨, irezumi, littéralement « insertion d'encre ») le terme plus général pour désigner le tatouage est horimono (彫り物 ou 彫物, horimono, littéralement « sculpture »
(suite- A Giard):"Il est recouvert d’encre de la tête au pied, à la seule exception des paupières, des parties génitales, de l’anus et de la paume des mains et des pieds. Etienne Dumont porte en outre, sous la lèvre, une sorte de hublot qui montre la racine de ses dents et ses gencives. Ses oreilles sont ornées de gigantesques disques, pareilles à des décorations primitives. Il s’est fait implanter deux gros anneaux de métal qui apparaissent en relief sur le dos de ses mains. Au-dessus du front, un pédoncule semblable à un oeil globuleux d’extra-terrestre pointe comme une antenne. A l’origine, il avait deux “cornes” sur la tête. Une nécrose foudroyante l’a obligé à se débarrasser de celle de droite. Ce qui l’énerve : il aurait voulu être symétrique. Mais les lois du corps n’ont rien à voir avec l’ordre et la raison.
“J’ai appris avec ces modifications qu’il ne fallait pas avoir de plan pré-établi, dit -il. C’est peut-être la principale leçon qu’il y a à retirer d’une telle démarche. Il faut accepter d’avoir la partie droite du corps moins bien irriguée (c’est le cas pour la majorité des gens), donc moins apte à subir des modifications extrêmes. Dans le lobe de mon oreille gauche, je porte un disque de 7 cm de diamètre. Le disque de droite fait seulement 4 cm. Sur le visage, je porte un tatouage qu’il a fallu rendre dissymétrique pour qu’il ait l’air symétrique : il y a plus de lignes d’un côté que de l’autre, mais ça ne se voit pas justement. Il faut donc tricher avec les parties droites et gauches du corps. Mettre au point des illusions d’optique. J’ai l’impression d’avoir passé des années à assembler un puzzle.”
Véritable oeuvre d'art que son corps puisque les tatouages sont pensés en ...illusion d'optique! En puzzle. Avec tous ces accessoires étonnant incrustés : cornes, piercings, labret...
UNE TABLE DE NUIT IMAGINAIRE COMPOSEE
"Bien que son corps ne corresponde pas à un projet artistique global ni prémédité, Etienne Dumont en est plutôt heureux. “Je l’ai fait comme quand on se promène dans un pâtisserie, explique-t-il. J’ai dit : “donnez-moi ça, et ça, et ça”. Il y a du tribal, du cyber, des estampes d’Hokusai (sur la cuisse droite, ça représente un viol, un monsieur agresse une dame, mais je l’ai choisi juste pour l’harmonie des couleurs et des volumes). Il y a aussi des crânes inspirés par des natures mortes hollandaises, des pivoines et des chrysanthèmes… On a essayé d’harmoniser le tout. Je n’attache aucun sens particulier à ces images. Il n’y a pas de symbolisme. Je n’ai fait tout ça que pour le plaisir. Et je ne me croyais pas capable d’aller jusqu’au bout. Vous savez, quand on dit aux gens : “Ce corps, c’est 450 heures de tatouages répartis sur 15 ans”, ils reculent devant ce que cela représente. Moi aussi, j’aurais reculé.”
Il se défend d’accorder à son corps une autre valeur que celle de simple support à des expériences, il avoue qu’il y a quelque chose de la parade amoureuse dans ce déploiement de couleurs et de formes outrancières. “Quand on est dans mon état, on n’entre plus quelque part, dit-il. On fait une entrée. Je ne peux plus la jouer modeste maintenant. Alors j’y vais. Et j’essaye d’avoir le bon mot."
ETIENNE DUMONT DEVIENT UN INCROYABLE CHAMPS D'EXPERIMENTATION DE LA PEAU SOCIALE.
Comme critique d'art et de culture il tire des observations de son état:
"Parfois, quand des hommes me regardent, je me demande s’ils ne sont pas intéressés par moi. Il y a une ambiguïté. Mais souvent, non, ils ne me draguent pas. Ils sont juste curieux. Parfois, j’oublie mon apparence. Je n’y pense pas vraiment. Je vis avec. Parfois, j’ai l’impression d’être dédoublé. Il y a mon corps et moi derrière. C’est comme un jeu de cache-cache.” Dans la rue, ceux qui réagissent mal sont généralement des immigrés, des gens qui essayent de s’intégrer et qui trouvent choquant de vouloir sortir de la norme. En revanche, les vieilles personnes sont toujours complices. Elles approuvent. “Comme les vieux se sentent exclus, ils font preuve d’empathie avec ceux qu’ils pensent dans les marges, explique t-il.
Etienne Dumont induit par son apparence choisie des questionnements fondamentaux sur le normal et l'anormalité humaine. Le "choc culturel" proposé par le journaliste tatoué, portant labret et cornes intégrées est un acte de création, de réflexion théorique, sociologique proprement extraordinaire.
Il se joue du social, sans visiblement en souffrir. Plus intellectuelle comme action tu meures ! Ou plus inconsciente?
A se demander même si son intellect dirige réellement les opérations ?
Ou si cette orientation vers ce dédoublement entre l'interne- la peau frontière et le monde extérieur se fait à son corps défendant ou non....
Etienne Dumont a créé un puzzle, un labyrinthe si compliqué. Déroutant, déstabilisant pour le "voyeur" par lui sollicité de facto. C'est à dire nous tous, le champs social.
Tatouage ultra sophistiqué. Probablement destiné à perdre le regard de celui ou celle qui ose poser son oeil sur lui pour l'introspecter. Dans un magistral mécanisme de défense ?
Comme une peau-paratonnerre ?
Ou bien parade amoureuse du paon ou autre oiseau rare, en magnifique plumage rouge?
Ou les deux dans un "double-je" ? Double jeu avec le regard de l'Autre à qui il impose impérativement d'être en position de voyeur! Définitivement.
Sylvie Neidinger
Article révisé en octobre 2023. Liens obsolètes éliminés
Etienne Dumont, critique d'art-oeuvre d'art - Le Blog de Sylvie Neidinger (blogspirit.com)