La vénérable Société d'Histoire et d'archéologie de Genève fête dignement son siècle trois quarts.
Avec comme gâteau une Exposition de documents visible aux Archives d'Etat jusqu'au 20 décembre prochain. Et pour cerise...le récent colloque intitulé: " L'historien et l'archéologue dans la cité " (15-16 novembre)
J'ai pu assister à la première journée du colloque (dommage pour la seconde...)
Le vocabulaire culinaire semble inadéquat: il faut parler de polyphonie plutôt !
Une séance introduite par Pierre Flückiger des Archives d'Etat.
L'Histoire abordée sous toutes ses coutures. Une formidable pluralité d'approches.
Tout d'abord, la SHAG se raconte elle-même (ses fondateurs, ses manques de locaux, ses statuts...) avec les exposés de Françoise Dubosson -qui indique comment un petit groupe se réunit autour d'Henri Boissier en mars 1838. Puis celui de Sarah Scholl laquelle a étudié les procès verbaux de jubilés.
Force de constater combien les membres d'origine se divisaient en deux visions: l'une calviniste classique et l'autre école dite "vieille genevoise" avec les J.B.G.Galiffe (des généalogistes) et autres anticalviniens.
Bernard Lescaze replace tous ces courants de pensée et resitue le radicalisme. Il évoque Henry Fazy, historien, archiviste et conseiller d'Etat.
L'aide "technique"structurante de l'historien et archéologue normand Arcisse de Caumont en direction de la SHAG fut citée. Mais pas seulement.
Furent abordées les relations avec les autres sociétés savantes helvètes.
L'exposé de Irène Hermann retraçait les interactions entre sociétés savantes suisses après la guerre du Sonderbund: pas si simple, pas si connectées entre elles en vérité!
HOMMAGE AU PRESQUE CENTENAIRE QUI PUBLIE TOUJOURS: PAUL GUICHONNET
Ce vendredi 15 novembre, le temps avait une épaisseur de siècle clairement mesurable.
Vertige. Puisque qu'un hommage verbal fut prononcé par Jean-Daniel Candaux ( président de séance très en verve) en direction du fils de Louis Blondel (1885-1967) très âgé mais assistant au colloque. Son père dirigea en 1913 le service du"Vieux-Genève"après des études à Genève, Paris et Munich.
Nombreux historiens présents dans la salle ont d'ailleurs évoqué dans les discussions leurs anciens professeurs à l'Université de Genève: hommage à la recherche universitaire.
L' approche mémorielle a été complétée par un hommage - vivant donc vibrant cette fois- pour le bientôt centenaire Paul Guichonnet qui publie toujours.
Magnifique paradoxe de Genève qui sait toujours privilégier la compétence au besoin et suivant les circonstances.
Elle installa tout de même à la tête de la SHAG, haut lieu de son historiographie locale majoritairement protestante cet érudit ...savoyard !
ARCHEOLOGIE=L'HISTOIRE EN COUCHES!
Dans l'après-midi sont intervenus les archéologues, ces historiens du concret.
Spécialistes de "l'Histoire en couches", celle à faire "naître à la Science" par les méthodologies de la fouille et des reconstitutions des données enfouies.
Deux archéologues de terrain ont pris la parole sans note aucune. Pierre Corboud retrace la naissance de la matière historique nommée"archéologie genevoise"de 1833 à 1920. L'exceptionnel harpon préhistorique sculpté du Salève et les palafittes.
Il précise comment se met en place au coeur du XIXème siècle une nouvelle science de l'histoire: la paléo-archéologie autour du lac de Neufchatel puis des autres lacs dont le Léman.
Et comment s'invente- en se nourrissant des données archéologiques- une symbolique nationale voire nationaliste autour du "suisse lacustre". Cet ancêtre, monté en mythe historique, que les peintres de l'époque ré-imaginent même.
La belle affaire: le lacustre helvète proto-historique avait le mérite de n'être ni catholique, ni protestant, ni germanophone ni francophone !
Une perfection théorique pour une Unité politique nationale en voie de construction..
Rapidement, ce concept d'ancêtre commun fondateur et reconnu par tous sera vite abandonné au fond des eaux de la théorie...Il connut tout de même son heure de gloire.
AVENIR DE SAINT ANTOINE?
Marc-André Haldimann et Jean Terrier ont évoqué les chantiers en cours à Genève:
-Rappel des premières fouilles du gallo-romaines du XIXème siècle gravement destructrices, les méthodes archéologiques n'étant pas encore adoptées.D'ailleurs, on ne sait même pas où sont aujourd'hui les amphores alors découvertes. Perdues, carrément !
-Description de l'immense chantier actuel du quartier Saint-Antoine qui permet une étude scientifique toute facilitée par les techniques modernes. Très intéressant d'observer l'appropriation par les genevois de leur propre passé puisque quelques uns expriment déjà le souhait de conserver les découvertes archéologiques en l'état.
Oui, certes. Mais en quel état justement ? A quelles couches temporelle poser le curseur?
Rappel: l'archéologue est un "historien fou" puisqu'il détruit son champ d'expérimentation au fur et à mesure qu'il ne l'étudie !
Très très proche-oriental ce fonctionnement inhérent à l'archéologie: un peu Chronos qui mange ses enfants ou alors Phénix qui s'auto-consume pour mieux ...renaitre.
L'archéologue cet historien paradoxal est réellement obligé de détruire au fur et à mesure son champ expérimental pour l'analyser.
Il procède à des choix de vie et de mort. Conserver ou détruire.
Politiquement, Genève est aujourd'hui devant ses propres choix dans le quartier Saint-Antoine: Conserver ? Que conserver ?
Comment détruire pour reconstruire? Les problématiques historiques sont toujours des enjeux contemporains de société.
Le colloque dans sa richesse a également porté sa réflexion sur d'autres facettes: la théorie générale de l'histoire.
Ainsi fut abordée la mode des années 80 (ouverture vers les sciences sociales, pluri-disciplinarité) autour du concept de l'histoire en miettes, voire de la "fin" de l'histoire (carrément !) Une vue de l'esprit plutôt que parole d'historien, semble-t-il. Une fausse crise de la discipline...
"Dépasser les apories du localisme"..."Faire varier le jeu d'échelle selon l'objet soumis à l'analyse"...
On conclue avec le concept de "variation d'échelle" indiqué par Marco Cicchini, organisateur, dans son ...introduction.
Ou comment l'histoire de Genève -somme toute celle d'une ville modeste en population au XIXème siècle - s'aborde aussi dans le cadre d'une l'Histoire plus large (helvète, européenne etc.) Il indique alors que c'est une question de ligne de crêts...
Crêts Baudet, assurément !
Sylvie Neidinger
Lire : Histoire de savoirs: 175 ans d'histoire et d'archéologie à Genève.
Catalogue de l'expo de la SHAG, visible aux Archives d'Etat de Genève jusqu'au 20 décembre.
Dernière nouvelle: expo prolongée jusqu'en avril 2014
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Dernière nouvelle ( mai 2014) les données de l'expo sont disponibles en ligne