Le processus de prise de possession coloniale du monde arabe n'était pas achevé avec les décolonisations !
Il se poursuit sous nos yeux par le dit « printemps arabe »
Ce « printemps » finalement développe des conséquences qui partent dans un tout autre sens que la modernisation démocratique annoncée.
Deux observations :
a- Hier le 10 août 2012, les manifestants tunisiens de Sidi Bouzid, épicentre originel du mouvement d'indignation, s'enflammaient à nouveau. Ils arguaient du fait que leurs revendications initiales de prospérité économique n'ont pas été satisfaites.
En lieu et place du mieux être : un gouvernement islamiste s'est installé au pouvoir.
b- Par extraordinaire, les pays directement à la manœuvre pour « accompagner » le changement arabe sont la France, la Turquie et l'Angleterre et leurs alliés. Soit les trois anciennes puissances coloniales de la zone !
La Turquie ottomane (occupation de huit siècles du monde arabe et de la Syrie depuis le XVIème siècle) l'Empire britannique (Egypte, Jordanie, Palestine, Irak) l'empire colonial français (Maroc, Algérie, Tunisie dès le XIXème siècle puis le Liban et la Syrie) Enfin les Usa pour la récente occupation de l'Irak.
Une colonie, suivant la définition romaine est un groupe de peuplement organisé qui se détache d'un territoire avec lequel il reste en relation pour investir un nouveau territoire. Des liens se créent autour d'une domination économique et politique, avec application du principe de diviser pour régner. Donc morceler, communautariser.
Historique de la colonisation occidentale en Syrie:
1-Les croisades. Le premier mouvement d'Occident vers le Levant est celui des croisades, d'essence religieuse. Au nom de la religion chrétienne et directement contre la religion musulmane qui naît quelques siècles plus tôt au VIème siècle, son objectif officiel est de « sauver les lieux saints, protéger...la Croix » Mais aussi...d'aller chercher produits et technologies encore inconnus en Europe. Le monde arabe de cette période historique était techniquement et scientifiquement plus en avance, Bagdad: la mégapole la plus peuplée au monde avec plus de un million d'habitants.
La Côte est méditerranéenne est alors balisée de châteaux forts croisés (Kalat al Hosn, le Crac des Chevaliers, vers Homs, Margat, Sanjil, Saint-Gilles etc.)
La mémoire européenne valorise ces faits d'armes. Les familles nobles se prévalent toujours d'ancêtres croisés. La réalité sur le terrain est vécue autrement. Byzance a vu de nombreuses églises saccagées au passage de ces troupes. Idem au Levant, les populations locales même chrétiennes ont déploré ces occupations issues de l'ouest. L'académicien franco-libanais Amin Maalouf a admirablement décrit dans son ouvrage "Les croisades vues par les arabes", l'envers du décor nommé «barbarie en terre sainte sous couvert de religion»
Ici, une perspective inversée de l'Histoire rédigée par ceux ...qui la subissent.
2-L'occupation ottomane du monde arabe jusqu'en Afrique du Nord et aux portes de l'Autriche démarre au XIIIème siècle par un califat. Selim 1er occupe la Syrie dès 1516. Cette longue occupation de territoires majoritairement musulmans s'explique évidemment par le fait que les ottomans sont de religion musulmane.
A bout de souffle au XIXème siècle, l'empire ottoman que l'on nomme « le vieil homme malade » voit ses terres possédées reprises par l'Europe conquérante.
Napoléon lance son « Expédition » en Egypte (1798-1801 Puis la France s'installe en Afrique du nord (débarquement en 1830 avec colonisation de peuplement, création de départements français en 1848) Ensuite en Syrie.
3-Le mandat français sur la Syrie est issu du Traité de Sèvres (1920)
Les colonisations françaises et anglaises sont d'essences différentes.
Les anglais aux Indes par exemple, relativement peu nombreux sur le terrain, organisent le «trading», le commerce mais ne cherchent pas spécialement à « assimiler » les populations car « l'anglicité » étant un état tellement hors-norme selon eux, que tous les autres ne peuvent le devenir. C'est de facto une colonisation pragmatique, plus consensuelle.
La colonisation française, narcissique, civilisatrice, toute "brillante" de son roi-soleil et de son "siècle des lumières", sa Galerie des Glaces, cherche à rendre les populations locales identiques à elle-même. Pas en terme d'égalité des droits certes mais en modèle idéologique : le fameux « nos ancêtres les gaulois » enseigné en Algérie comme effet de miroir.
Or, au Proche-Orient, contrairement à l'Afrique du nord pas encore mûre sur ce point à cette période, cette volonté coloniale française d'imposer un mode de civilisation, une occupation au ...berceau de l'humanité ne passe pas. La révolte gronde...dès le départ. La Syrie du Croissant fertile (des premiers agriculteurs néolithiques, du premier alphabet au monde, en cunéiforme à Ugarit, des premières urbanisations etc.) n'accepte pas.
Pour autant, la méthode française de colonisation présente l'avantage d'une redoutable efficacité. En 20 ans, les français auront réalisé ce que huit siècles d'occupation ottomane n'ont pas permis de faire. Les bases d'un Etat moderne ont été lancées (routes, écoles, cadastres, poste, tram)
[En juin 2012, partout en Syrie, à Damas, Alep, Homs, Hassaké, les élèves ont passé les diplômes dits du « brevet » et du « baccalauréat » exactement comme en France: même terminologie.]
L'occupation française reste toutefois insupportable à ce peuple orgueilleux et fier. L'insurrection part du Djebel Druze. Des partis nationalistes arabes se fédèrent. S'ajoute le fait que lors de la 2ème guerre mondiale, l'autorité de la France se délite localement entre vichystes et gaullistes.
Le 29 mai 1945, après 10 jours de manifestations, les français bombardent Damas allumant un gigantesque incendie toujours dans les esprits. En avril 1946, l'Hexagone évacue totalement le pays.
Le cas de la Syrie, oubliée de la mémoire collective française. Syrie à la découpe.
Curieusement, la mémoire collective française a totalement occulté qu'elle administrait cette zone tout autant que l'Afrique du nord. Peut-être parce que, d'une part elle en a été chassée et surtout parce que les français avaient d'autres ...occupations à subir en 39-45 ?
Les syriens n'ont rien oublié, eux ! Ces évènements font l'objet de fêtes nationales et de monuments mémoriels.
Mais le pays n'en sort pas identique ni indemne. L'antique « Grande Syrie » s'est vue découpée lors du Traité de Sèvres (1920) puis du Traité de Lausanne (1923) qui vont établir des frontières au sein du très vieil Empire ottoman. Et la suite...
Coloniser signifie diviser géographiquement, diviser les populations.
Sous mandat de la Société des Nations (SDN, ancêtre de l'Onu) le pays se voit morcelé en six entités : Etat de Damas, Etat d'Alep, Djebel Druze, Grand Liban, Etat Alaouite, Sandjak d'Alexandrette.
Nota: l'appellation géographique "Liban" existe depuis les textes antiques (= la montagne blanche comme le laitage "laban") Elle nommait le Mont Liban, ce pourvoyeur de bois de cèdre depuis les temps immémoriaux.
Avec la complicité de la France, La Turquie moderne va largement "se servir". Elle s'empare du sandjak d'Alexandrette, 19 ans après avoir obtenu sur la frontière nord de la Syrie Cilicie et Euphrate par les deux traités successifs. Des territoires de langue arabe passent à la Turquie. La France avait Protectorat sur Iskanderun (Alexandrette) Elle se devait de le ....protéger. Or, elle donnera tout simplement le sandjak à la Turquie en 1939 en échange d'une possible neutralité autour de la 2ème guerre mondiale. La grande ville commerçante d'Alep se voit ainsi privée de sa façade maritime. L'épisode reste toujours douloureux dans la mémoire syrienne.
L'Etat moderne syrien se recomposera à partir des états mandatés de Damas, Alep, Alaouite, Druze avec une frontière très amputée au Nord, à l'Est et sans Iskanderun.
4-Le Jolan syrien occupé. L'Etat moderne d'Israël se constitue en 1948 sur le pays nommé Palestine, avec l'accord des anglais (Balfour). Cet Etat s'empare du plateau syrien du Jolan (Golan) en 1967 lors de la Guerre des Six jours. Cette zone est un véritable château d'eau qui accède au lac de Tibériade et la haute vallée du Jourdain. L'occupation est déclarée illégale par les résolutions de l'ONU successives du Conseil de sécurité... que personne ne s'empresse d'appliquer.
Du point de vue juridique international, l'occupation n'est pas validée à ce jour. Les statuts territoriaux sont en statu quo. La Syrie en réclame toujours la rétrocession.
5-Dernier avatar directement colonial et anachronique : l'occupation américaine de l'Irak en 2003.
Pour terminer avec les colonisations affectant la Syrie, cette fois indirectement par les réfugiés qu'elle accueille : le cas de l'Irak.
Les Usa y lancent en 2003 suite à la doctrine Bush une intervention de type coloniale avec occupation directe pourtant passée de mode.
Curieusement, les américains adoptent la méthodologie colonialiste ultra- invasive " à la française" en accompagnant la démarche d'un projet civilisationnel avec l'arsenal théorique du "choc des civilisations "par Samuel Huntington qui publie à Harvard ses thèses en 1996.
Les Etats-Unis sont alors dans un sentiment de surpuissance: les murs de Berlin étaient tombés, le cas de l'URSS supposé réglé. La nouvelle Russie semble neutralisée. Un théoricien ira jusqu'à évoquer, décréter la "fin de l'Histoire"!
Les terminologies "d'hyperpuissance" ou "d'empire américain" commencent à se lire ici et là.
L'Irak est occupé en direct, un gouverneur militaire, le Général Jay Garner nommé, l'armée locale désintégrée. Toutes les erreurs à ne pas commettre sont commises. Pire, l'Histoire montrera que le casus belli avancé pour entrer dans le conflit (la présence d'armes de destruction massives) s'avère inexact.
Idem : la résolution de l'ONU permettant la guerre est jugée non-conforme par les juristes du droit international.
Tony Blair porte sa large responsabilité dans le choix US d'occuper. Strictement seul, le Président Bush Jr hésitait à entrer dans cette logique martiale, vis-à-vis de son opinion publique. Le travailliste britannique a donné l'impulsion.
Jacques Chirac, du parti gaulliste de la décolonisation, par la voix de son porte-parole Villepin, tenta d' empêcher le cours des choses. Les applaudissements ont rejailli dans l'enceinte new-yorkaise de l'Onu à l'évocation d'un monde multipolaire et du caractère dépassé des occupations.
Mais les Usa- première puissance militaire mondiale, forte de ses certitudes - sont entrés dans un processus de colonisation direct. La tentation géostratégique était trop forte. Si l'on divise la population irakienne par les réserves du sous-sol, elle est l'une des plus riches au monde !
Les caractéristiques de la colonisation ont bien été appliquées avec la partition du pays . Les zones pétrolières rebaptisées "région autonome du Kurdistan" sont détachées et les séparations ethno-confessionnelles installées (les kurdes y étaient présents mais pas eux uniquement, comme pour toute cette région multi confessionnelle !)
L'Irak version atlantiste est entré dans une anarchie, un problème communautaire majeur. La semaine dernière, soit 9 ans après, une série d'attentats causaient encore la mort d'une centaine de personnes. Le pays est sectorisé, destabilisé pour longtemps. Qui aujourd'hui entend la voix de ce pays à l'international?
Les murs de séparation y poussent comme tentative désespérée et absurde de régler l'inter-confessionnalisme.
L'image de cette armée d'occupation américaine est désastreuse pour les Usa eux-mêmes. Autour de 2 millions d'irakiens ont quitté leur pays pour se réfugier dans les pays voisins. Dont 1,8 million pour la seule Syrie.
Ce déplacement de population irakienne est le plus important ayant affecté le Proche-Orient depuis les millions de réfugié palestiniens de 1948. Dans le plus grand silence médiatique !? Effectivement il est peu glorieux de dire haut et fort que le camp occidental vient de créer un tel mouvement de réfugiés (deux millions !) suite à un conflit supposé initié sous un mandat-très bancal certes - de l'Onu !
6- Plus de 2 millions de réfugiés en Syrie issus de ses voisins dans le silence médiatique occidental
On a vu comment la Syrie perd des territoires mais se voit augmentée de 2 millions de personnes au final issues de populations expulsées des pays voisins. En 1915, Arméniens et assyro-chaldéens s'installent suite aux massacres dans les régions du nord (Alep) et à l'est (Assaké) L'Unwra gère à ce jour 500 000 palestiniens dans 12 camps ( 9 officiels, 3 informels) suite aux expulsions d'Israël, auxquels s'ajoutent suite à la prise de possession de l'Irak par les Etats-Unis, de 1,5 à 1,8 millions d'Irakiens suivant les estimations. Plus les populations Tcherkess, Kurdes etc...
Soit une population syrienne augmentée de 1/10ème suite aux guerres des autres ! Ce, pour un pays qui n'est pas connu pour son extrême développement économique. L'Unrwa, organisme onusien vient en aide aux Camps palestiniens. Les aides arrivent-elles pour les réfugiés irakiens?
Pragmatiques, les américains ont rapidement analysé les erreurs de la colonisation directe en Irak, où ils sont encore aujourd'hui. Mais leur projet de redessiner le Proche-Orient, avec les alliés tient toujours. L'axe chiite est décrété « bête noire » à éliminer.
Le printemps arabe vient opportunément permettre la poursuite de cet objectif, sous une autre forme plus subtile, pouvant être qualifiée de néo-coloniale. C'est ce que nous analyserons dans un prochain article intitulé : « Théocraties religieuses à l'assaut des théocraties laïques »
Sylvie Neidinger
Série Surya sur blog TDG "neidinger" :
Article 1-Baal Hadad lance ses foudres en Syrie.
Article 2-Le Printemps néo-colonial arabe
Article 3- Clinton-Israël en" intelligence amie". Les Etats Arabes le sont-ils?
Illustrations de cartes postales d'époque sur la présence française
Résumé-Abstract : Le Printemps néo-colonial arabe. Par extraordinaire, les Etats actuellement au chevet de la Syrie sont strictement les anciens Etats coloniaux de la zone : Turquie, France, GB, et néos tels les USA et alliés.
Tags : Syrie, Libye, Irak, Egypte, printemps arabe, amin maalouf, usa , ottoman, Usa, Israël, choc des civilisation Huntington, Palestine , UNRWA
Commentaires
je me suis permise de publier votre texte sur ma page Facefbook car il y a longtemps que je n'avais pas lu quelque chose d'aussi cohérent sur la Syrie et "le printemps arabe". Merci pour tout le travail que constitue une telle parution.