Le Seuil publie en ce mois de janvier un gros pavé. Du lourd, du solide, même si ce représentant majeur des Lettres arabes contemporaines n’est pas connu du grand public.
Un kilo d’une épopée poétique, la parole d’un vivant pour restituer celle des morts ou des mondes disparus. Et vice versa ?
Ali Ahmad Saïd Esber, né le 1er janvier 1930 à Qassabine sur la côte syrienne mérite bien son pseudonyme lié à ce Dieu canano-phénicien de la renaissance annuelle.
Adonis, aujourd'hui titulaire de la nationalité libanaise, est récipiendaire de multiples prix littéraires dont le célèbre Prix Goethe de poésie en 2011 comme dernier lauréat.
Qu’il ne soit pas très connu importe peu...
Lors de la proclamation du prix Nobel de 1985 accordé au français Claude Simon, peu de gens avaient même soupçon de l’existence de cet auteur.
Souvenir personnel de rédactions parisiennes stupéfaites, carrément vexées car prises au piège de l'ignorance...Les véritables intelligences d'écrivains majeurs ne perdent pas leur temps sur les plateaux télé, ni à entretenir le cirque médiatique !
L'ouvrage d'Adonis, Al-kitâb II se présente comme un manuscrit retrouvé du poète Al-Mutanabbî (915-965)
Excellente préface du recueil par Houria Abdelouahed « dans ce second volume devant les atrocités cauchemardesques qui pétrifient jusqu’aux rêves et capacités langagières, le narrateur demande de poursuivre seul le chemin vers la gehénne du natal(…) La matière langagière et linguistique se décompose, se dilue, se sépare, se délie pour devenir lieux et villes »
Le retour au natal chez Adonis diffère, selon la préfacière, de celui d’Hölderlin chez qui le « heimkunft » serait marqué par la rencontre avec le familier. Chez Adonis tout reste étrange.
Pulsion d’exhumer et de dire la vérité sur l’Age d’or des Arabes : une épopée a-théologique:
Ecoutons les vers :
« Comment ne pas répondre à la question
Laissant les vaisseaux de la nuit
Naviguer sous le soleil d’Antioche
Adieu, adieu Antioche ?
Serait-elle ma seconde naissance ? » page 25
ADONIS CRITIQUE
Patientant dans l’antichambre du Nobel en excellente position en 2011, l’auteur semble désormais moins attractif à Stockholm. (Lui même certainement s'en moque, au dessus de cette mêlée. Mais un Prix est aussi accordé à la culture portée qu'il valorise. Ici : la littérature arabe)
La cause ? Avoir clairement pris position contre la rébellion de son pays soutenue par l’occident.
Les opposants le fustigent. L'intellectuel a persisté et signé. Il n’apprécie peu ce « printemps arabe » piloté par les anciens colonisateurs. Il est contre l’idéologie islamiste étant LAIC .
Adonis est contre le fait que les femmes se voilent. Tout simpement.
Rappel : il s’est, tout de même, choisi comme pseudonyme le nom d’un Dieu néo-lithique. Son ouvrage évoque l'a-théologisme...
Effectivement, Ali Esber n’est pas du tout en accointance idéologique avec cette évolution religieuse intégriste de la Syrie. Il récuse directement l'idéologie islamiste Lire l'Orient le jour.
Imaginer une seconde qu’il le fût tient du délire.
Qui comptait récupérer, contrôler, ordonner l’âme immense et immensément libre du Poète, "ruh' cha'her" ???
Qui a contrôlé les vers sublimes du Perse Omar Khayyam (1048-1131) en son temps, même ceux dédiés à l’alcool et aux femmes, ou à « son ivresse de dieu »ou son « infidélité croyante » ?
Qui peut aujourd'hui donner un ordre à l’intellectuel Adonis ou le dénigrer ? Qui ?
Qui ose?
Au nom de quel droit ? De quelle loi ?
C’est comme vouloir enfermer tout le mythique Mont Sapon, ses tempêtes, Ugarit et ses Baals antiques dans une chaussure.
Ridicule.
Sylvie Neidinger
ADONIS Le Livre II(al - Kitâb) Editions du Seuil Janvier 2013 ISBN 978.2.02.109330
Série Surya sur blog TDG "neidinger" : Adonis N°8