Dieu, que le hasard du destin est puissant !!
En choisissant de visiter l’expo « Picasso à l’œuvre dans l’objectif de David Douglas Duncan » ce vendredi 1er février à Genève (vite avant la clôture définitive du 3/02) j’avais sans le savoir, choisi de visiter le Musée d’art et d’histoire…en même temps que le célèbre photographe.
Une inconnue dont le sourire illuminait encore son visage me dit spontanément en me croisant «Duncan est dans les locaux. Il a été applaudi à la cafèt !»
Je refais vite un tour de piste muséal : trop tard à 5 mn près. Envolé, l'oiseau…Dommage.
Sa présence à l'intérieur de l’expo fut certainement du pur bonheur intellectuel pour ceux qui eurent la chance de l'accompagner. En effet, elle court-circuitait le Temps.
Dans les années 50 (1956 exactement) il avait photographié Picasso en acte de création des Baigneurs à la Garoupe -entre autres -dans la première « maison » de ce tableau, la villa California à Cannes.
Duncan se retrouvait ce vendredi 1er février 2013 face à la même peinture hébergée dans son actuel foyer: le Musée genevois où l'oeuvre est entrée par donation de Paloma.
Face à ses propres clichés. Des souvenirs pour lui. De l'Histoire de l'Art pour nous.
Enchevêtrement de temporalités.
La présence du photographe a certainement rendu sa visite carrément ethnologique pour ceux l'accompagnant. Dommage d’avoir raté cela.
IMMENSE FORCE DE LA DOUCEUR DE DUNCAN
Quelle ne fut pas ma surprise, en sortant de le voir. Lui. Oui. Accolé au mur d’accueil, à droite, direction la sortie. Seul. Un mur bienvenu pour le soutenir du haut de ses 97 ans portés par deux béquilles.
Je lui demande l’autorisation de le photographier. Il accepte.
C’est tout naturellement que je lui tends mon bras pour descendre le long escalier en direction de son taxi.
Fort heureusement, les marches du Musée genevois sont nombreuses...
Très rapidement, je lui dis être impressionnée d’avoir à mon bras – côté gauche, côté cœur -une légende du siècle !
Il fait une pause et me regarde très directement en toute simplicité, en toute bonté presque amicale, déjà.
Il me répond : « VIETNAM, VIETNAM » Pas de référence spontanée à Picasso.
Je continue alors « le monde est toujours en guerre malheureusement. L’amour n’a pas prévalu » On se comprend. Il sourit.
Il était alors inutile de casser ce moment magique par une parole supplémentaire. La question que je comptais lui poser à savoir « Picasso était-il un ami difficile ? » devenant parfaitement superflue.
D’autant que la réponse est largement prévisible :
1) Ami avec Picasso, il était impossible qu’il le critiquât car on ne critique pas un ami !
2) Picasso était évidemment un ami, un mari, un père, un amant …très difficile. Sans aucun doute.
3) Mais l’épaisseur humaine de Duncan fut si forte qu’il a réussi à apprivoiser le Minotaure au point de le photographier jusque dans sa baignoire...
Arrivés sur le parvis, il me vient un geste maternel. Filial serait plus exact. J’enferme sa main entre mes paumes, à plusieurs reprises. Emotion.Non je ne cherchais pas à capter une quelconque aura du type « cette main que je tiens, a salué Picasso » Cela eut été parfaitement mégalo. Et inexact. Car elle n’appartient qu’à lui !
La main enserrée était en fait celle qui a ...porté le boîtier de l'appareil photo et dont l’index a appuyé des centaines de fois sur le déclic : reporter de guerre, aristocrate du métier ! Grand témoin de l’enfer rendu sous forme humaine sur terre…
David Douglas Duncan monte doucement dans son taxi. Omission de prendre l’ultime photo d’une scène intéressante: le taxi et le Musée dont les escaliers devenus plus célèbres pour moi que ceux de Cannes !
Une fois le photographe parti, je reste sur place à réfléchir. VIETNAM, VIETNAM tourne en boucle.
DUNCAN ET PICASSO, DEUX ETRES UNIS PAR CE QU’ILS DETESTAIENT : LA GUERRE. Bien évidemment, les deux compères, monstres du XXème siècle étaient amis au point que Duncan a publié plusieurs ouvrages en mémoire de Picasso.
Question: ces deux célébrités forment-elles un" couple artistique"? La terminologie que je choisis au final appartient au vocabulaire de l’archéologie: celle des PAREDRES!
A y réfléchir, une parfaite "opposition symétrique complémentaire" unit les deux artistes-témoins, quelque peu Janus et démiurges. Parfaits "alter ego".
Du structuralisme pur:
* Picasso créé dans un univers interne protégé, entouré d’enfants, de femmes et d’amis. Atelier photographié, grand capharnaüm débordant de toutes oeuvres posées jusqu'au sol.
Duncan créé en externe, en ambiance hostile, en se mettant en danger dans les pays les plus lointains.
*Picasso extirpe l'acte créatif de sa main, de son intérieur, de sa vue, de sa mémoire, de sa sensibilité. Il peut recommencer la même courbe un jour et le lendemain.
Duncan, s’il rate un cliché, ne peut le recommencer car le monde vit et ne l’attend pas.
*Picasso agit avec la matière, la couleur.
Duncan finalise sur papier glacé.
*Picasso est un démiurge du temps. En dessinant un visage à la fois de face et de profil, il intègre deux temporalités.
Duncan capte le monde au centième de seconde d’ouverture et d'obturation de son objectif.
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Complémentarités opposées : ils sont , en fait, les deux faces d'une même feuille... plate. La feuille, support d'information visuelle autour d'une thématique majeure: le PACIFISME.
*Picasso fit entrer la 3 D sur un espace plat (cubisme, Demoiselles d’Avignon) Le peintre réussit à faire cohabiter deux plans abstraits sur une même toile.
Les photos présentées à l'expo de Genève sur "Picasso créant" montraient d'ailleurs combien l'artiste aimait à fabriquer des sculptures, en réel au préalable du rendu plat dans son processus créatif :femmes aux bras écartés par exemple, de tous matériaux, cartons, fer.
3D pour mieux coucher leur représentation sur une toile plate comme finalité qui l'intéresse.
*Duncan, lui, photographie le monde par définition en volume et le présente sur la feuille-cliché.
DEUX PAREDRES UNIS PAR UN PACIFISME SINCERE
Finalement, voici le moteur majeur de leur acte créatif. Chacun de ces Géants du Siècle avec le choix de ses propres armes....son art propre, la photo ou le graphisme a exprimé la même exécration vitale de la guerre.
Duncan s’introduit chez Picasso en 1956. Cinq ans avant, en 1951, il avait publié « This is war » livre de dénonciation dont les bénéfices sont donnés aux veuves et orphelins des Marines US.
Né en 1916, au cœur de la première guerre mondiale, reporter de guerre pour l’armée US, devenu reporter pour Life, Duncan sera un témoin de la seconde guerre mondiale, de la guerre de Corée puis de celle du Vietnam. Et du moyen-orient.
Picasso lui, peint Guernica en 1937, de colère et de rage face aux bombardements qui tuent les innocents. Il conçoit sa Colombe de la Paix en 1949 à l'occasion de son adhésion au Conseil Mondial de la Paix. Il reçoit à ce titre un prix international de la paix.
Le message des deux parèdres, Picasso et Duncan, profondément anti-guerre n’ a pas encore été entendu. Ni appliqué.
Mais il est toujours là pour ceux qui savent écouter, en avertissement lancinant prononcé de la voix la plus douce : Vietnam ! Vietnam!
Sylvie Neidinger
Souscription publique pour les clichés originaux de Picasso en action
Musée d'art et d'histoire de Genève,
Crédit images photo ©Neidinger Autres=captures d'écran (dont exhibition. University of Texas Austin)
DUNCAN ARTICLE 1 du 29/1/2013 MAH: souscription publique pour des clichés de "Picasso à l'oeuvre" - Le Blog de Sylvie Neidinger (blogspirit.com)
DUNCAN ARTICLE 2 du 5/2/2013 David Douglas Duncan à mon bras gauche: Vietnam, Vietnam! - Le Blog de Sylvie Neidinger (blogspirit.com)
DUNCAN ARTICLE 3 du 8/6/18 David Douglas Duncan, photojournaliste (rencontré à Genève) décède: ô Vietnam! - Le Blog de Sylvie Neidinger (blogspirit.com)