Margot Dagan est une jeune créatrice en herbe. Pas encore 20 ans et déjà du talent à revendre.
Elle a eu l'idée hyper intéressante-pour un travail d'école- de mêler deux univers a priori antinomiques : celui de la couture et celui d'une herbacée potagère à bulbe plus qu'odorante. On ne parle pas de la tulipe mais bien de l'oignon !
Comment cette liliaceae bisannuelle à la fois légume et condiment devient-elle matière à design ?
A l'observer avec des yeux neufs, cette plante est magnifique avec ses couleurs blanches rosacées, jaunes, beiges ou carrément rouges. En prime : sa transparence, sa brillance.
De là à l'imaginer traitée en chaussures, en chapeaux et en jupes bulbes ...
La haute couture s'ajuste autour du corps, sur le corps, sur la peau, sur les pores, portes de notre intime.
Porter de l'oignon devient alors un curieux exercice de style !
Mais de ce détournement d'usage va résider justement le secret de l'acte créatif.
La jeune inventive décrit parfaitement son processus :
« Après ces observations et expérimentations, je me suis rendue compte que bien qu'il soit un légume commun, l'oignon à de nombreux atouts qu'il dévoile au fur et à mesure de son épluchage.
J'ai donc voulu le rendre rare et précieux en exploitant sa matière.
J'ai par ailleurs assimilé son épluchage à un déshabillage et j'ai pensé que le déshabillage de l'oignon pouvait faire l'habillement de l'homme.
Ces réflexions m'ont conduite dans le domaine du style. J'ai donc décidé de changer l'oignon de destination.
Le sujet n'interdisant pas l'apparition de structures pour la conception de pièces vestimentaires et d'accessoires, j'ai décidé de créer une mini collection :
« L'Oignon Haute Couture. »
Mon travail porte sur la création de modèles de taille réelle pour me rapprocher davantage du domaine de l'architecture qui travaille à l'échelle humaine.(...)
Ma collection se poursuit par la conception d'une jupe.
J'ai décidé de partir sur une jupe boulle pour rappeler la forme sphérique du bulbe de l'oignon.
J'ai commencé la réalisation de ce vêtement par la mise en place de sa structure, par son ossature.
J'ai assemblé 5 morceaux de tuyaux en cercle pour obtenir des anneaux de trois tailles différentes. Ces anneaux, placés horizontalement ont été reliés par des fils de fer épais afin de donner une certaine solidité à la structure. Une base solide étant essentielle pour débuter mon projet.
J'ai ensuite recouvert ma structure par les différentes parties qui composent un oignon : les pelures, ses écailles.J'ai travaillé sur diverses techniques de coupes pour diversifier le style et montrer plusieurs possibilités de transformations de l'oignon par la coupe au couteau M.D. »
L'INTERIEUR POUR EXTERIEUR et vice versa
Elle se situe clairement dans l'art éphémère car les oignons de l'exercice ont déjà disparu.
Ne restent que les photos et le jeu entre celui qui propose ses traces numériques -univers virtuel- et celui qui les regarde.
Au final : l'objet réel initial importe peu. La "chaussure-oignon-éclairée" n'était évidemment pas faite pour marcher mais uniquement pour donner à réfléchir !
En cassant la frontière des codes. En cassant un interdit, un blocage. En libérant ?
En franchissant deux univers que personne n'avait franchi jusqu'alors, celui du précieux -car il nous habille à l'extérieur - et celui d'un banal objet alimentaire de cuisson, malodorant destiné lui, à l'intérieur du corps, Margot Dagan nous a positionné dans l'essence de l'acte créatif : le regard nouveau.
En découle l'immense liberté issue de son choix de cette Haute couture à l'Oignon, rendant le créateur maître. Car avec lui et son imaginaire représenté, tout devient possible !
Qui n'a déjà observé dans les expos ce que je baptise le "junk art" avec ses boîtes de conserve ouvertes peu ragoûtantes-même si vides- tout comme il existe la "junk food" ?
Ici la jeune artiste a inventé, avec grande élégance, le design de... haute gastronomie !
Sylvie Neidinger