Qui, Elle? Elles ?
Le Musée des Suisses dans le monde aime les photographes. Après Marco d’Anna (2012) et René Burri,(Utopia en 2013) Peter Knapp a exposé récemment ses 101 regards sur les femmes, réunis par Valentine Mayer, commissaire de l’exposition.(11juillet-30 novembre 2014)
Une rétrospective active car pour l’occasion genevoise, l’artiste- né en 1931 à Bäretswill- a décidé de boucler la boucle de son art. Il a produit à dessein un surprenant cliché local à taille humaine large comme un mur complet- baptisé « l’Avenir de Genève » et spécifiquement dédié à cette expo de Penthes.
Huit genevoises enceintes ont "posé nu". Certaines (pas toutes) ont ensuite participé à une visite, le bébé dans leurs bras !!
Etonnant tour de cadrant pour cet esthète, à ses débuts, d’une« femme de couturier » hyper-sophistiquée, maquillée, apprêtée, chic.
En un mot, reconstruite par un photographe architecte du vêtement en action.
A Genève le photographe boucle son cycle en passant de la ligne d’angle de ses débuts de carrière aux rondeurs naturelles !
Son trajet : le « Faiseur d’images » quitte jeune la Kuntsgewerbeschule de Zurich qui l’initia à la rigueur géométrique des angles droits et à l’interdisciplinarité du Bauhaus pour les Beaux-Arts à Paris, en 1951 avec 100 francs en poche.
Ses copains d'alors se nomment César et Dmitrienko...L'inconnu sait s'entourer.
Il va devenir rapidement un maestro du microcosme parisien, loin du calme de ses Grisons où toutefois une tante avait eu la bonne idée d'envoyer des USA le magazine Harper’s Bazaard que le petit Knapp parcourait avec gourmandise.
A Paris, son regard fonctionnel le lance dans l'univers Mode.Celle des couturiers type André Courrèges et ses vêtements droits, géométriques portés par de jolies insaisissables qui s’envolent et virevoltent sous l'objectif de Knapp.
Virtuosités sophistiquées des clichés type robe Yves St Laurent dite "Mondrian", ses diagonales…
Femmes en mutation. Révolution féministe des années 60, 70 qu’il accompagne. En regard d'homme.
KNAPP INVENTE LA FONCTION DA ! Directeur Artistique mais aussi sculpteur, illustrateur, peintre, photographe.
Hélène Lazareff le fait venir à ses côtés en 1959. Il entre à Elle comme DA d'un magazine féminin dont il va inventer une charte graphique en toute liberté avec pochoirs et tampons.
Il pratique les écritures dites"main libre" si modernes. Bien loin de l’école typographique suisse dont il ne se revendique pas (les Max Bill, Adrian Frütiger).Il supprime la règle du gabarit.
Au-delà du « journal de la femme que les hommes regardent » il va remodeler l'iconographie de la presse. Il quitte Elle en 1966.
L’expo de Penthes n’a rien omis du parcours complet.
Ni les Unes historiques de Elle ni les chemins de fer du magazine,ni le visionnage des vidéos [démarrées en 1965] des DIM(anches) de DAM(es) et D(h)OMmes.
Daisy de Galard, à la vieille ORTF. Dimdamdom : voyage dans le temps !
BILDERMACHER : QUESTION D’IMAGE
Peter Knapp innove sans cesse. Quittera Paris et la mode.Celui qui produit des clichés hyper construits va passer à carrément autre chose avec ses « Femmes griffées » telle « Brigitte 1989. » qu'il redessine sur pellicule en la rayant.
Il quittera finalement l'univers presse mode pour la sculpture et le reste.
La boucle se boucle. Après sa Nicole [avant/après] de 1965, non maquillée /maquillée, il termine avec les rondeurs enceintes de la cité calviniste.
A la question que j’eus la chance de pouvoir lui poser le 11 octobre dernier à savoir : de toutes ces propositions, quel type de femme qu’il préférait ? Sa réponse fut directe sans un seconde d’hésitation : assurément les dernières photographiées, les femmes nues. Donc naturelles.
Peter Knapp a accompagné l’esthétique du féminin dans ses mutations d’après- guerre.
Il fait des confidences dans un documentaire…Sa mère, chanteuse d'opérette amateur le réveillait parfois la nuit pour admirer les lumières artificielles des premières...pubs néon scintiller sur un lac helvète lorsqu’il était enfant. Cette mère: parfaite éducatrice à l’IMAGE.
"J'ai vite compris que j'ai une vision" avoue-t-il dans le docu qui lui est consacré "Knapp, faiseur d'image. L'art et la manière. Arte, Image et Compagnie"
Ses 101 ou 110 ou 20 000 regards, dans le fond, cherchent probablement à retrouver, revivre la douceur, l’intérêt de son instant magique personnel ?
C’est le sens de la dédicace qu’il laisse dans une incroyable simplicité et gentillesse en retour aimable à celle qui l’a photographié « Merci pour vos IMAGES »
Terminologie hyper révélatrice que ces "images" fixes, animées, construites, élaborées.
Mais jamais photographies de l’instantané, tel de reportage de presse.
L'IMPERFECTIONNISTE TOTALEMENT PERFECTIONNISTE !
Lors du débat fort intéressant de ce samedi 11 octobre- qu’il croisait avec la célèbre genevoise Barbara Polla, il confirma ne pas être un photographe qui capte l'instant fugace.Ni pouvoir l’être.
Peter Knapp élabore en réflexion son visuel. Celui des années dites de la "libération de la femme".
Perfectionniste, le photographe des Grisons maîtrise, pense, prépare sa création dans le moindre détail.
Malgré toute cette hyper préparation il se définit comme imperfectionniste.
Le premier, plein de certitudes sait où il va. "L'imperfectionniste lui ne va pas où l'on veut qu'il aille. J'aime ne pas trop savoir où je vais, confie-t-il !"
Il boucle également sa boucle en...rachetant certains tableaux de ses débuts pour les ...modifier, les transformer en triptyques par exemple ! Il n'aimait pas la manière dont ils avaient vieilli et les re-créér.
Démarche perfectionnitissime !
Sylvie Neidinger
crédit images/photos Neidinger