Le mal nommé « printemps » est une équation explosive à cinq entrées car traversé par les guerres suivantes : numérique, verte, énergétique, coloniale enfin par la guerre froide. Analyse des conflits sous-jacents qui se croisent.
Historiquement, 2011 sera l’année du premier usage des réseaux sociaux dans un cadre de conflit armé. Cela s’est passé dans le monde arabe, à la plus grande surprise du monde occidental- qui véhicule tellement de préjugés notamment celui d’omettre imaginer que l’on pouvait être arabe et cliquer comme tout le monde sur la Toile.
LA GUERRE NUMERIQUE et la propagande font rage sur les réseaux, dans chaque camp autour d’un « réel » inondé d’images pas toujours garanties et vérifiées, journalistiquement parlant.
La couverture tunisienne par le web 2.0 a démarré comme une sorte de jeu vidéo, un conflit kleenex où il fallait appuyer sur le bouton « eject » pour changer les gouvernants. A ce jeu, Khadafi fit de la résistance. Il s’accrochait au pouvoir face à l’injonction de virer « out » Il restait « on » Il est désormais « off ».
Les bons vieux médias grand public (tv, radio…) ne sont pas en reste, toujours dans les logiques idéologiques propres à chaque bord. En France (pays promoteur de l’attaque militaire en soutien à ceux de Misrata, ville de l’Est libyen) la discrétion a été de mise sur le bilan humain final suite aux 8000 raids aériens de l’Otan (60 000 morts estimés, nombre infiniment supérieur aux morts kadhafistes) aux destructions des villes et infrastructures.
Al Jazeera, la télévision qatarie aux moyens et nombre d'auditeurs colossaux soutient activement le mouvement de contestation. Elle a choisi son camp...
En 2011, la CNN orientale ne se fait plus remarquer pour ses points de vue variés dans un océan médiatique arabe inféodé aux pouvoirs en place. C’était avant.
Une mue radicale s’est opérée en direction de la promotion en direct d’un islam sunnite rigoriste « du désert »
Le 20 septembre dernier, son directeur W Khanfar a démissionné face à la reprise en main idéologique par la famille régnante Al Thani. Qatar dont l’émir est également hyper actif au sein de Ligue Arabe. « Son » média d’information en continu est devenu un fer de lance puissant qui accompagne les évènements dans une vision toute wahabite. Anecdote du mois d’août à Tartous (Syrie) : toutes les poubelles de la ville furent recouvertes par la flamme, logo désormais célèbre de la chaîne pour exprimer le désaccord sur le traitement médiatique de ce pays par cette chaîne.
LA GUERRE VERT SOMBRE. Un puissant mouvement religieux enflamme le monde musulman avec plusieurs clivages:
D’une part entre l’islam à clergé chiite et l’islam sans clergé, sunnite.
D'autre part entre la pratique ordinaire et la pratique intégriste.
Les régimes politiques qui se mettent en place dans la foulée dudit « printemps arabe démocratique » tiennent de la radicalité.
Or, si vous ajoutez « isme » la différence devient majeure !! Cette nuance est mal perçue dans nos pays occidentaux.
La religion musulmane n’est pas extrême. C’est un des trois monothéismes. Elle respecte les prophètes antérieurs dont Issa (Jésus).
Mais déclinée dans sa version dure en « isme » sont évacués le féminin du champ public, ,les non musulmans, ou ceux qui pratiquent différemment, intolérés.
Politiquement, deux pôles d'influence diplomatico-religieuse cherchent à accompagner ce mouvement : celui des Monarchies du Golfe et celui de la Turquie, chacun des deux tirant la couverture à lui. Mais ils sont en réalité ...complémentaires!
Les partis conservateurs qui prennent les rênes suite au Printemps érigent souvent la Turquie d’Erdogan (non arabe) en modèle d'action car la démarche est hyper moderne. C'est une prise de pouvoir par les moyens de la démocratie contemporaine du bulletin de vote, de facebook pour appliquer les règles de vie instaurées il y a une dizaine de siècles.
Quant au Qatar et à l'Arabie Saoudite (GCC) ils fournissent les nécessaires moyens logistiques.
Résultat: la charia est prônée en Libye. Le PJD, Parti islamiste marocain dit modéré (parfait oxymore!) vient de gagner les élections. Les Frères Musulmans en Egypte sont devenus majoritaires. Salafistes et Frères en Syrie manifestent le vendredi à la sortie de la prière.
Le sunnisme version wahabite s’installe progressivement dans chaque Etat touché par les révoltes indignées, laissant poindre les plus vives inquiétudes. (cf: églises coptes brûlées)
Un Etat préfigue ce qui va se passer : l'Irak dont la « démocratie importée » est un échec absolu, un contre-modèle repoussoir. Certes, l’ancien régime fort a disparu mais sa laicité a sombré avec lui au profit de découpages territoriaux (kurdistan pétrolier) et du religieux comme gouvernance. Les communautarismes exacerbés se mesurent en attentats mortels quotidiens des années après le changement de régime. Les arabes chrétiens menacés quittent. Toutes les communautés non musulmanes se fragilisent. La voix politique de l'Irak à l'international a disparu.
La vieille religion chrétienne (proche-orientale et non occidentale à la source ) dans ses multiples composantes (assyro-chaldéens, coptes, syriaques etc.) s'exile hors du Proche-Orient. Ils vivaient jusqu'alors en bonne entente avec leurs frères musulmans. Une hémorragie comme conséquence collatérale des bouleversements en cours.
Un exode totalement avalisé par nos décideurs occidentaux dont les consciences bizarrement ne souffrent pas.
Pourquoi un tel succès de la pratique extrême musulmane ? Parmi plusieurs analyses, on peut retenir les suivantes:
- Les difficultés économiques
- Ce mouvement de retour à des pratiques rigoristes s’explique très certainement par un contrecoup des ( tristes !) évènements américains de septembre 2001.Des accusations médiatiques islamophobes (généralisantes) s’ensuivirent.
Les musulmans, à force de se voir pointés du doigt globalement, en tant que tels, de tous les maux de la terre (de terroristes… jusqu’aux repas d’avions qui sont surveillés pour voir qui consomme quoi) à force de se voir caricaturés, multi surveillés, se sont repliés sur leurs valeurs? Aujourd’hui, les bulletins de vote prennent la couleur vert sombre.
- Focus complémentaire: les mosquées jouent le rôle d’aide sociale, de soins, d’éducation pour les plus pauvres, des missions régaliennes que les Etats gangrenés par la corruption et le clientéliste n’ont pas pu tenir. Ces deux dernières années ont connu des émeutes liées au prix du pain en Egypte et en Jordanie.
- Enfin, autre frustration majeure pour le « cœur arabe » : l’éternelle absence de création de l’Etat palestinien viable, dans le jeu de façade des discours onusiens (cf : les frontières de 1967 ...encore récemment dans la bouche de B Obama !) et de promesses jamais tenues. Comme une grande moquerie internationale.
POSITION AMBIGUE DES OCCIDENTAUX : LA PUREE IDEOLOGIQUE.
Les pays occidentaux entretiennent une purée idéologique sur le thème de l’islamisme en acceptant ici ce qui est refusé là. Ils ont vendu à leurs populations respectives « au nom de la démocratie -qui a bon dos ! » une guerre en Afghanistan ( gazoducs…) pour soit disant contrer les intégristes locaux nommés talibans.
Talibans évidemment aux idéologie inacceptables.
Américains, Union Européenne ont refusé le dialogue avec le Hamas car islamiste. L’Iran qui attaque l’ambassade GB est qualifié aujourd’hui à la radio d’islamiste par un responsable britannique. C’est vrai. Sauf que…les mêmes occidentaux participent actuellement à la mise en place active des régimes confessionnels islamistes qui sortent des urnes !
BHL, le ministre des affaires étrangères d’opérette de la France a écrit récemment dans une tribune sur la Libye "qu’il y a charia et …charia."
Les véritables raisons sont donc à chercher ailleurs : le monde arabe intéresse évidemment pour son gaz et son pétrole. Ce "printemps" devient une super opportunité pour la reconfiguration du monde arabe telle que G. Bush la rêvait.
LA GUERRE ENERGETIQUE. Deux pays attisent les papilles occidentales : la Libye et la Syrie. Les médias font peu de cas de la révolte yeménite qui n’a ni ressource énergétique, ni intérêt géographique !
Le cas libyen -pays immense qui regorge de pétrole- a été géré par une intervention militaire massive de l’Otan. Kadhafi est mort. Place désormais à la gestion du cas syrien. Pays dont la position géostratégique centrale et son Est pétro-gazier sont dans l’œil du viseur. Alain Juppé annonce la nécessité de « zones tampon humanitaires » ...prélude aux futures partitions ?
LA GUERRE NEO-COLONIALE : les frontières du monde arabe furent tracées dans la première moitié du XXème siècle à l’époque des colonialismes occidentaux. Or, ce mouvement de partage des territoires sous influence n’est visiblement pas terminé. Il était intéressant de constater le 4 octobre dernier la nature des Etats ayant décrié le veto russo-chinois en faveur de la Syrie : exactement tous les anciens pays coloniaux de la zone !
La Turquie du vieil Empire Ottoman, la France (la mémoire populaire française a oublié qu’elle eut mandat sur la Syrie) la Grande-Bretagne (en Irak) l’Allemagne (certaines frontières furent tracées le long du Bagdad Bahn) enfin les Américains actuels maîtres du monde et de l’Irak.
Les mêmes Cinq toujours à la manœuvre active en connexion évidente de fourniture d’armement et de renseignements formation à l’ALS Armée de libération de Syrie -même s’ils se refusent à le dire officiellement.
LA GUERRE FROIDE : La Russie a donné un doigt pour autoriser à l’ONU l’intervention libyenne mais son bras entier a été avalé. La mission de l’Otan a semblé dépasser les instructions de départ. De ce fait, la Russie va poursuivre son attitude de veto et de refus à toute intervention en Syrie, pays de son aire d’influence ( laique socialiste ) actuellement dans la fenêtre de tir otanesque. Elle donne actuellement de la voix et menace d’envoyer ses bateaux de guerre à Tartous.
La Chine va-t-elle suivre cette démarche de veto ?
Le sur-armement nucléaire israelien est sans contrôle international de l'AIEA qui ne réclame aucun compte.
Le nucléaire iranien lui ne se laisse pas contrôler.
Comment vont réagir les émergents les Brics dont l'Afrique du Sud, Inde, Brésil qui s’étaient abstenus de voter un engagement militaire en Syrie en octobre? Le scénario part en tous sens.
L’enfer arabe
Les Occidentaux reconfigurent le monde arabe à leur guise en coordination avec la Ligue ( dont on n’ a jamais autant entendu la voix alors que nombre de ses membres sont en transition gouvernementale )
Ils accompagnent d’une manière impérative les indignations légitimes de peuples. Mais en axant les évènements suivant leurs intérêts géo-stratégiques énergétiques.
La poudrière est désormais en place avec la crise économique mondiale (qui touche les pays arabes non pétroliers) les exaspérations religieuses, les pétrodollars (ressource inépuisable qui finance les résistances) l’armement et la logistique des pays de l’Otan (les dernières générations de drônes américains sans pilotes sont testées)
Chaque jour, une allumette est grattée. C’est attesté. Le mouvement d’indignation syrien a démarré à Deraa avec la torture intolérable d’adolescents. Mais rapidement des bandes armées - certains de ceux que nos médias vantent comme des héros!- mènent une lutte sanglante. Sanglante signifie des corps civils et militaires découpés à la hache.
La guerre... civile semble désormais poindre dans ce pays fragile car multi-confessionnel et multi communautaire .
Syrie où tous les arabes ne sont pas musulmans ( maronites, orthodoxes, syriaques, ismaélites etc.) et où tous les musulmans ne sont pas arabes (tcherkess, druzes, arméniens, kurdes etc.)
En septembre, le Patriarche maronite Al Rai ( Libanais) de passage en France, plus qu’inquiet de la tournure des évènements, a diplomatiquement fustigé les velléités de reconfiguration. du monde arabe –celles qui agitent les chancelleries occidentales.
Diviser pour régner est vieux comme le monde. En langage moderne cela se traduit par une mentalité de type bantoustan "un territoire = une communauté" .
Tout comme la droite israelienne qui prône la reconnaissance internationale d'un "Etat juif," chacun serait rangé uniformément dans "son" fief ethno-religieux .(druzes au Golan, kurdes dans l'Est syrien) D'ailleurs, les mots d’ordre des contestataires syriens lus dans les toutes premières manifestations allaient dans le sens des partitions et élimination « chrétiens au Liban, alaouites au cimetière » !
L’allumette de la guerre civile est malheureusement lancée. Le conflit peut d’un instant à l’autre enflammer les voisins : Liban, Turquie, Israel, Jordanie, Irak.
Monseigneur Al Rai eut le courage dans sa sagesse d’évoquer l’hiver arabe. Moi, je parle de l’enfer arabe. J’espère juste …me tromper !
Sylvie Neidinger